Auschwitz, un voyage scolaire pas comme les autres
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Jeudi 149 collégiens de 3e issus de 15 collèges du département ont visité, à l’invitation du Conseil Général du Rhône, les camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz et Birkenau en Pologne.
Les camps de la mort ne sont pas une classe verte. Le voyage se prépare en amont. Un travail sur la déportation, le nazisme et la situation de l’époque est nécessaire. La visite commence au camp d’Auschwitz I, situé à une heure de Cracovie. A cette période de l’année, il y a de la neige, et il fait 0, ou -1. C’est dans ce camp, dont l’entrée est marquée par la célèbre inscription « Arbeit macht frei » (le travail rend libre) que les chambres à gaz sont nées. Ce camp étant une ancienne caserne de l’armée polonaise, il donne l’impression d’un petit village agencé en bâtiments semblables, à ceci près que le site est entouré d’une double rangée de barbelés électrifiés. « C’est difficile de s’imaginer la vie dans le camp à l’époque. Heureusement que le rescapé est là, quand il raconte son histoire, ça existe, c’est réel » explique Lisa du collège de Condrieu. La visite de la chambre à gaz numéro 1 est éprouvante. Au plafond deux orifices d’où les SS lâchaient le Zyklon B. Le mur de béton est lardé de traces d’ongles laissées par les détenus gazés. « On les imagine s’accrocher, crier, puis tomber, morts. C’est horrible » lâche Maxime, du collège Evariste Gallois de Meyzieu. Vient ensuite le four crématoire voisin, une petite pièce sombre. Le four en lui-même ressemble à un four à pizza, mais quand Henri Kichka, le survivant belge qui accompagne le groupe rose (chaque groupe a sa couleur), calot rayé et numéroté de détenu sur le crâne, s’en approche, se retient sur la rampe d’acier dans laquelle étaient glissés les cadavres et prend la parole, il n’y a plus un bruit. « Vous avez de la chance d’avoir des sépultures, des tombes où venir vous recueillir sur les gens de votre famille qui ont disparu. Moi je n’ai rien. Ce four est tout ce qu’il me reste. Tous ceux des miens qui ont été tués ici y sont encore. Certainement ne reste-t-il rien d’eux. » Les élèves sont tétanisés. Certains, comme Lisa, ont les larmes aux yeux. « Quand il raconte ça devant le four, c’est vraiment dur. J’ai eu beaucoup de mal à rentrer ici quand on sait à quoi servaient ces pièces » réagit Emilie de Condrieu. « Les chambres à gaz, j’ai beaucoup de mal avec ça, ça me dérange. Je trouve ça tellement lâche de tuer des gens ainsi ! » lance le jeune Hamid, visiblement affecté.
La visite se poursuit dans les baraquements. « C’est dommage qu’ils soient chauffés et repeints. On a presque l’impression que c’était confortable » explique Claude Bloch, un déporté lyonnais arrêté en 1944 par Paul Touvier en personne et qui a séjourné plusieurs mois entre ces murs. Derrière des vitrines sont exposées des montagnes de cheveux retrouvés à la libération du camp en 1945. « Ces masses de cheveux, ce sont des restes humains, leur corps est encore un peu là, on a l’impression de les sentir présents » raconte Lisa, les larmes aux yeux. Ce vestige est très visuel, tout comme les piles de chaussures, de bagages, d’ustensiles de cuisine, de lunettes, de prothèses. C’est souvent là que craquent certains. C’en est trop pour une jeune fille de Condrieu, elle sort en pleurant, réconfortée par son professeur. A l’étage, les accompagnatrices qui sont mamans restent longtemps, comme pétrifiées, devant les petites chaussures d’enfant et les poupées exposées. Celles et ceux à qui ces objets appartenaient sont morts, gazés à 3, 4, 10 ans, dès leur arrivée. « Toutes ces affaires personnelles entassées, c’est vraiment dur à voir, surtout quand on sait ce qui est arrivé à leurs propriétaires » se confie Ana de Meyzieu.
Auschwitz I est composé de baraquements en briques rouges, on les appelle les blocks. Le Block 11 est surnommé le bloc de la mort. Les SS y jugeaient sommairement des détenus. Dans la cour, au fond, le mur des fusillés. Les fenêtres adjacentes sont comblées. Au sous-sol, des cellules. « Ce qui m’a le plus marqué c’est cette prison raconte Can Ozan, élève à Meyzieu. Dans certaines cellules ils devaient rester debout… » En effet, une série de cellules en forme de cheminée dans lesquelles les tortionnaires nazis laissaient mourir les prisonniers, debout par 4 dans 1m². Plus loin une plaque indique que le Zyklon B a été « testé » ici pour la première fois sur des prisonniers soviétiques et des détenus malades. Dans une autre, un déporté a gravé un Christ au mur, à côté c’est un curé qui s’est dénoncé en lieu et place d’un codétenu qui est mort. Ce Block 11 laisse une impression de musée de l’horreur. Dans une salle à disposition des officiers SS trône le portrait d’Hitler….
Birkenau, l’horreur industrialisée
Après un déjeuner rapide dans un centre inter-religieux d'échanges, direction Auschwitz II – Birkenau, à 3 kilomètres de là. D’emblée on reconnaît cette tristement célèbre entrée avec ce long bâtiment sous lequel passent les rails. Derrière, 170 hectares de camp. « C’est le plus impressionnant. C’est tellement grand qu’on a du mal à se rendre compte que tout ça était construit pour tuer. » Lisa n’en revient pas.
Ici tout était fait de façon à organiser la mort industriellement. Les rails coupent le camp en deux. Dès la descente des wagons à bestiaux, les détenus étaient triés, dirigés arbitrairement soit vers les chambres à gaz du fond, soit vers les baraquements. La visite d’Auschwitz II est la plus usante, moralement et physiquement. Il fait froid, c’est si grand qu’il faut souvent marcher longtemps. Et là, les baraquements sont en bois. Dans l’un d’entre eux les lits superposés sur 3 étages sont restés. Henri Kichka raconte comment s’y passait la vie. « Ce qui me choque c’est qu’ils étaient tellement faibles, en pyjama par -30 degrés, affamés, qu'ils n’avaient même pas la force d’aller aux toilettes et s’urinaient dessus et sur leurs voisins du dessous ». Ces « chambres » ont profondément marqué Héloïse, en 3e à Meyzieu. Le survivant poursuit en expliquant que tous les matins les détenus écrasaient les poux qui les mordaient et leur transmettaient des maladies.
Mais au-delà des chambres à gaz, au-delà des fours, des cellules, ce sont les latrines qui ont unanimement choqué les élèves. « Les toilettes c’est la base raconte le jeune Maxime. Là ils devaient tous se mettre les uns à côté des autres, dans le froid. C’est très dur. » Ces toilettes impressionnent beaucoup les élèves, surtout quand le rescapé explique que ces longues rangées de béton percées de trous distants de 5 cm étaient vidées à la louche par des détenus et que beaucoup d’entre eux mourraient en faisant leurs besoins. Les enfants encaissent mal cette description. Eux qui sont dans l’âge où la prise de conscience du corps et la notion d’intimité commencent à se développer ne conçoivent tout simplement pas que des êtres humains puissent être traités ainsi.
La visite s’est terminée au fond du camp d’Auschwitz II, près des ruines des chambres à gaz jumelées aux crématoires que les nazis ont fait sauter avant d'abandonner le site. Les 15 classes y ont rendu hommage aux victimes, plus d’1,1 million selon les estimations difficiles à affiner, en lisant des textes après avoir déposé une gerbe et des bougies. Ces textes, tirés de récits de déportés connus comme Primo Levi et Hélie Wiesel ou d’inconnus sont lus par un élève aux côtés des survivants qui les ont accompagnés. L’une d’entre elle dit un couplet de « Nuit et brouillard » de Jean Ferrat, qui prend évidemment une toute autre dimension en ce lieu. Certains, comme la représentante du collège Saint-Charles de Rillieux-la-Pape ont choisi de lire des messages qu’ils ont écrits eux-mêmes : « Pour que cet univers ne soit plus jamais possible, à nous, citoyens d’aujourd’hui et de demain, de relayer le message des survivants et d’incarner les valeurs humaines ». La minute de silence qui suit est respectée dans un recueillement unanime.
« Je suis très fière des élèves, ils ont été exemplaires » conclut Danielle Chuzeville, la vice-présidente du Conseil Général, dans un sentiment partagé par les 15 chefs d’établissement et les professeurs accompagnateurs. Dans l’avion du retour, tout le monde relâche un peu la pression. Contrairement au voyage aller, les élèves crient et applaudissent chaleureusement le décollage et l’atterrissage. « J’en ai beaucoup qui prenaient l’avion pour la première fois ! » explique Marie-Josée Laprée, la principale du collège Marcel Dargent à Montplaisir. « Ils ont raison, la vie doit continuer » lui répond le témoin Claude Bloch.
Place maintenant à l’exploitation pédagogique du voyage. Certains groupes vont en tirer des films, d’autres des livres, tous vont en discuter en classe avec leurs camarades restés en France. « J’espère que je pourrais trouver les mots pour leur expliquer ce que j’ai vu ici » s’inquiète Hamid. La tâche n’est effectivement pas aisée, car Auschwitz se passe de tout commentaire, la visite se suffit à elle-même. Et pourtant, ils devront mettre des mots sur leurs sensations. Ce qui est sûr, c’est que ce voyage restera longtemps gravé dans leurs mémoires.