Faux PV et vrai-faux infiltré : l’affaire de drogue qui empoisonne la justice lyonnaise

Faux PV et vrai-faux infiltré : l’affaire de drogue qui empoisonne la justice lyonnaise

Une vieille affaire d’importation de 624 kilos de cannabis revient hanter la justice lyonnaise sur fond d’accusations de manipulations policières, de faux, d’usage de faux et d’un infiltré instrumentalisé par la PJ en vue de piéger un caïd lyonnais.

Du fond de sa cellule, Mohamed Bessame, dit bébé, ronge son frein. Parrain de la drogue des régions lyonnaises et grenobloises, le voyou lyonnais s’apprête à vivre l’épilogue d’un long bras de fer avec la justice devant la Cour de cassation ce vendredi. Depuis son arrestation musclée en juin 2012 au péage de Valence au volant d’un go-fast transportant 624 kilos de résine de cannabis, Bessame accuse sans sourciller la PJ de Grenoble d’avoir provoquée cette importation de drogue.

 

Le caïd lyonnais s’étonne que l’un de ses comparses dans l’organisation de ce trafic entre l’Espagne et les Pays-Bas n’ait jamais été inquiété alors qu’il était à l’origine de ce coup destiné à rembourser quelques dettes. Un infiltré au service de la PJ qui organisait le trafic avec l’assurance de ne pas se faire pincer.

 

"Mauvais choix"

Ce comparse surnommé le gitan ou rabouin est partout dans le dossier. Dans les écoutes téléphoniques, sur des photographies suffisamment illisibles pour qu’il soit méconnaissable, dans des filatures. Mais personne ne le voit. Lorsque cette affaire a été jugée par le tribunal correctionnel de Lyon en première instance en juin 2014, le président avait eu du mal à cacher son irritation devant le directeur d’enquête.

 

"Personne d'autre dans ce dossier n'est aussi présent que le gitan. Et il n'y a pas d'identification de faite. Ça se voit tellement que c'est gros ! Des conversations entières sont portées sur le gitan. Mohamed Bessame, qui vous préoccupe tant, sa seule préoccupation à lui, c'est le gitan. Et je le trouve nulle part dans votre boulot !"

 

Réponse du directeur d'enquête de la police judiciaire : "Ce sont des choix d'enquête." "Mauvais choix, monsieur. Ne pas chercher le rabouin ou le gitan, c'est une grosse faute" avait rétorqué le président.

 

Jugement accablant pour la PJ

Dans le jugement qui condamne Bessame à 10 ans de prison mais le relaxe de l’association de malfaiteurs, les motivations du tribunal correctionnel de Lyon sont uniques dans les annales judiciaires et accablantes pour la PJ et le juge d’instruction :

 

"le tribunal constate qu'un nombre conséquent de pièces de procédure, établies notamment en exécutions de commissions rogatoires délivrées par des magistrats instructeurs de la juridiction interrégionale spécialisée de Lyon, comportent des mentions ou signatures sur la sincérité desquelles demeurent des incertitudes. Ces incertitudes interdisent [au tribunal] de tirer de ces pièces des éléments de conviction. Le tribunal constate également l'absence de certaines vérifications qu'une conduite normalement diligente des investigations commandait d'effectuer en temps utile. (…) L'officier de police judiciaire (…) n'a ni contesté ni expliqué ces différents manquements lors de son audition comme témoin par le tribunal."

 

Bessame et ses avocats ont déposé plainte pour faux usage et usage de faux contre la PJ de Grenoble et le juge d’instruction en charge du dossier. Des centaines de PV sont visés.

 

Dans son arrêt de mars 2015 au terme duquel elle condamne Bessame à 12 ans de prison tout en étant d’une extrême sévérité avec le jugement de première instance qui lui-même tançait vertement l’enquête de la PJ, la cour d’appel de Lyon a néanmoins confirmé l’existence de ces faux PV et l’irrégularité de plusieurs pièces de procédure.


 


Epilogue devant la Cour de cassation

Victoire pour Bessame qui a réussi à faire plier la justice. Car sa plainte était en attente en raison d’un pur problème de droit. En substance, l’article 6-1 du Code de procédure pénale dispose en effet qu’il ne peut y avoir d’enquête sur des faux commis l’occasion d’une procédure judiciaire qu’à la condition qu’une décision judiciaire définitive constate le caractère illégal de ces actes. C’est précisément ce qu’a fait l’arrêt de la cour d’appel de Lyon en mars 2015.

 

Dernière étape ce vendredi devant la Cour de cassation qui joue l’épilogue de cette affaire. Qu’elle confirme ou qu’elle casse la condamnation de Bessame à 12 ans de prison, la décision judiciaire deviendra définitive.

 

Et alors l’enquête pour faux pourra être instruite comme l’indiquait la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble dans sont arrêt de novembre 2015 dans lequel elle indiquait attendre une "décision […] définitive d’une juridiction répressive saisie [qui constate] l’illégalité des actes argués de faux et d’usage de faux en écriture publique ou l’illégalité de la procédure à raison de l’altération et de soustraction de pièces de la procédure de nature à faciliter la découverte d’un délit, la recherche des preuves ou la condamnation d’un coupable".

 

C’est précisément cette déloyauté dans la recherche des preuves que Bessame et ses avocats, dont le lyonnais Bertrand Sayn, reprochent à la justice lyonnaise.  

 

Slim Mazni